Les délais de jugement devant les juridictions administratives apparaissent souvent très longs aux justiciables. Pourtant il est prévu, dans certaines matières, des délais de jugement qui devraient s’imposer au juge.
A titre d’exemple, l’article R. 600-6 du Code de l’Urbanisme prévoit que « le juge statue dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements, contre les permis d’aménager un lotissement ou contre les décisions refusant la délivrance de ces autorisations. La Cour Administrative d’appel statue dans le même délai sur les jugements rendus sur les requêtes mentionnées au premier alinéa ».
Toutefois, en l’absence de toute sanction en cas de non-respect de ce délai, cette disposition réglementaire semble relever du vœu pieu ! En effet, il n’est pas rare que le délai de jugement d’une requête dirigée contre un permis de construire dépasse deux, voire trois ans, en raison de la charge de travail pesant sur les juridictions administratives et de l’encombrement du rôle.
Pourtant, il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable.
Le Conseil d’Etat (CE, 1er mars 2024, n° 488693) est venu rappeler que « lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l’ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice » et précise que « lorsque la durée globale du jugement n’a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l’Etat est néanmoins susceptible d’être engagée si la durée de l’une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive ».
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a considéré que le Tribunal Administratif de Melun, en rendant un jugement 3 ans et 22 jours après l’introduction de la requête, n’avait pas respecté un délai raisonnable de jugement. Si le Conseil d’Etat a accordé une somme de 1 000 euros à la Commune au titre de son préjudicie moral, elle a en revanche rejeté sa demande d’indemnisation à hauteur de 873 000 euros au titre de son préjudice matériel, considérant que le lien de causalité, direct et certain, entre le préjudice matériel allégué et le délai excessif de la procédure devant la juridiction administrative n’était pas démontré.
Dans un arrêt du même jour (CE, 1er mars 2024, n° 474337), le Conseil d’Etat a estimé que « Les procédures devant le tribunal administratif de Marseille et la cour administrative d’appel de Marseille ont duré respectivement deux ans et deux mois et un an et neuf mois. Aucune de ces durées n’est excessive, et la durée globale de la procédure, à compter de la première saisine de la commission des recours des militaires, de cinq ans et sept mois, ne présente pas non plus de caractère excessif »
Il n’est pas certain, au regard de ces décisions, que les justiciables soient vraiment enclins à rechercher la responsabilité de l’Etat au regard du « fonctionnement défectueux d’un service public de la justice », dès lors que l’indemnisation accordée par le Conseil d’Etat dans la première affaire ne couvrira même pas les frais engagés pour obtenir réparation du préjudice…