Le Tribunal Correctionnel de Bonneville, par jugement du 2 février 2023, a condamné un élu de l’opposition municipale de Megève pour avoir, lors d’un conseil municipal, déclaré que la gratuité du partenariat noué entre la Commune de Megève et l’Office du Tourisme accordée aux professionnels du tourisme, s’analysait comme un achat de voix, par le Maire, pour un coût compris en 120 000 € et 150 000 €uros.

En répression, le Tribunal Correctionnel de Bonneville a condamné le prévenu à une amende de 10 000 €uros (dont 7 000 €uros avec suris) et à verser 1 000 euros à titre de dommages et intérêts à la partie civile.

La Cour d’Appel de Chambéry (CA Chambéry, 8 novembre 2023, n° 23/553) a infirmé le jugement et prononcé la relaxe du prévenu.

Pourtant, la Cour a bien retenu le caractère diffamatoire des propos du prévenu, dès lors que celui-ci a « dénoncé une fraude électorale, une corruption d’électeurs » et qu’ainsi, l’imputation de commission d’une infraction pénale porte nécessairement atteinte à l’honneur ou à la considération du responsable public concerné.

Pour autant, la Cour considère que nonobstant le caractère diffamatoire de ces propos, la culpabilité du prévenu ne pouvait être retenue.

 

Pour justifier de sa décision, la Cour fait valoir que :

  • « la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme lequel dispose que « chacun a le droit de dire et d’écrire ce qu’il pense, et de recevoir ou de communiquer des informations » ».
  • « La sanction pénale et les réparations civiles ne doivent pas constituer une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou être de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté ».
  • La circonstance que les propos incriminés aient été tenus « par un élu municipal de l’opposition dans le cadre de son mandat, lors d’un débat public, sur un sujet d’intérêt général et dans une enceinte délibérative » est « de nature à assurer à l’auteur de tels propos une protection accrue de sa liberté d’expression ».
  • Ces propos s’inscrivaient dans « une polémique politique» et « la sanction de ces propos (…) serait une atteinte trop importante et disproportionnée à la liberté d’expression des élus de l’opposition, au sens de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme reprise par la Chambre criminelle de la Cour de cassation ».

 

En conséquence, le jugement de première instance est infirmé et le prévenu relaxé.

 

Cet arrêt, dans la continuité de l’arrêt de la CEDH (CEDH, Cour, cinquième section, affaire Jean-Jacques Morel C. France, 10 octobre 2013, 25689/10) montre que les actions en diffamation dans le cadre politique, notamment dans le cadre de débats au sein d’assemblées délibératives, doivent être engagées avec prudence, car se retournent souvent contre leurs auteurs, le jugement retenant que la liberté d’expression des élus est quasiment « sacrée » quand bien même les propos seraient effectivement diffamatoires.

 

Vincent LACROIX

Avocat Associé