A l’occasion d’un nouvel épisode dans l’affaire dite du « cartel de la signalisation routière », le Conseil d’État s’est penché sur la méthode de calcul des dépenses engagées par le cocontractant et qui ont été utiles à la personne publique.
Conseil d’État, 17 juin 2022, société Lacroix City Saint-Herblain, n° 454189
Pour mémoire, dans cette affaire, le département de Seine-Maritime avait, en 1999, 2003 et 2006, conclu avec la société Lacroix Signalisation des marchés portant sur la fourniture et l’installation de panneaux de signalisation routière verticale.
A la suite d’une décision de l’Autorité de la concurrence condamnant la société cocontractante pour pratiques anticoncurrentielles, le département a formulé devant le juge administratif, à titre principal, une demande d’annulation des marchés assortie de conclusions tendant à la restitution des sommes versées et à titre subsidiaire, une demande tendant à l’indemnisation du surcoût des marchés qu’a entraîné le comportement dolosif de la société.
Saisie par la société Lacroix Signalisation, le Conseil d’État a, par une décision en date du 10 juillet 2020 (ayant fait l’objet d’une brève que vous retrouverez ici), cassé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 22 février 2018, en tant qu’il avait statué sur les conséquences financières de l’annulation des marchés et précisé que :
« En cas d’annulation du contrat en raison d’une pratique anticoncurrentielle imputable au cocontractant, ce dernier doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais peut prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu’il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci, à l’exclusion, par suite, de toute marge bénéficiaire. Si, en cas d’annulation du contrat, la personne publique ne saurait obtenir, sur le terrain quasi-délictuel, la réparation du préjudice lié au surcoût qu’ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, dès lors que cette annulation entraîne par elle-même l’obligation pour le cocontractant de restituer à la personne publique toutes les dépenses qui ne lui ont pas été utiles, elle peut, en revanche, demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant. »
Après renvoi de l’affaire, la cour administrative d’appel de Douai, tirant les conséquences de la décision susmentionnée, a par une décision du 7 mai 2021, condamné la société titulaire des marchés au paiement d’une somme correspondant à la restitution des sommes versées dans le cadre des marchés et à la réparation du préjudice lié à l’indisponibilité des sommes correspondant au surprix des contrats annulés.
Au terme de ce long parcours procédural, le Conseil d’État, de nouveau saisi par la société Lacroix Signalisation, est venu, par une décision du 17 juin 2022, préciser les modalités de calcul des dépenses utiles engagées par le contractant.
En vue de régler l’affaire, le Conseil d’État a, tout d’abord, considéré que :
« Il appartient par suite au juge administratif, en cas d’annulation du contrat, d’évaluer, au besoin en ordonnant une expertise sur ce point, les dépenses du titulaire du contrat qui ont été utiles à la personne publique. Les dépenses utiles comprennent, à l’exclusion de toute marge bénéficiaire, les dépenses qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l’administration. Ne peut être prise en compte que la quote-part des frais généraux qui contribue à l’exécution du marché et est à ce titre utile à la personne publique. Ne peuvent pas être regardés comme utilement exposés pour l’exécution du marché les frais de communication ainsi que, dans le cas où le contrat en cause est un marché public et sauf s’il s’agit d’un marché de partenariat, les frais financiers engagés par le cocontractant. »
Puis, les juges ont estimé, en l’espèce, que :
« La méthode proposée par le département de la Seine-Maritime, fondée sur la déduction du prix des prestations à la fois du surcoût supporté par la personne publique à la suite de l’entente anticoncurrentielle et de la marge bénéficiaire de l’entreprise, ne saurait être en l’espèce retenue dès lors, d’une part, qu’une telle méthode conduit à intégrer dans l’assiette des dépenses utiles une partie de frais correspondant à des frais généraux non liés à l’exécution des prestations, qui ne sauraient être regardés comme étant utiles à la personne publique, et que, d’autre part, l’évaluation du surcoût supporté par le département, fondée sur la seule comparaison avec un unique marché conclu par le département en 2010, sans prise en compte d’éventuels facteurs exogènes, conduit à retenir un taux excessif de surcoût pour la personne publique. »
Ainsi, après avoir rejeté les méthodes de calcul retenues par le département et la société cocontractante, et en l’absence d’éléments lui permettant d’apprécier le montant des engagées par la société et qui ont été utiles au département, le Conseil d’État a ordonné une expertise et a sursis à statuer dans l’attente des conclusions de l’expert judiciaire.
Affaire à suivre…