Le Conseil d’Etat a confirmé la suspension du règlement intérieur des piscines municipales adoptées par la Ville de Grenoble, en raison de l’atteinte au bon fonctionnement et au principe de neutralité du service public.

 Conseil d’Etat, Ordonnance du 21 juin 2022, n° 464648

 Cette décision est l’occasion pour le Conseil d’Etat de mettre en œuvre pour la première fois le déféré laïcité, prévu à l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, et issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui dispose que :

« Le représentant de l’Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l’article L. 2131-2 qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission.

(…)

Lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures. La décision relative à la suspension est susceptible d’appel devant le Conseil d’Etat dans la quinzaine de la notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ou un conseiller d’Etat délégué à cet effet statue dans un délai de quarante-huit heures. (…) »

Était en cause le nouvel article 10 du règlement intérieur des piscines municipales de la Commune de Grenoble adopté par délibération du 16 mai 2022, qui prévoyait désormais que :

« Pour des raisons d’hygiène et de sécurité, l’accès aux bassins se fait exclusivement dans une tenue de bain correspondant aux obligations suivantes :  » (…) Les tenues de bain doivent être faites d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade, ajustées près du corps, et ne doivent pas avoir été portées avant l’accès à la piscine. Les tenues non prévues pour un strict usage de la baignade (short, bermuda, sous-vêtements etc), les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasée) et les maillots de bain-short sont interdits. (…) »

Le nouveau règlement permettait donc le port de tenues non près du corps moins longues que la mi-cuisse telles que des robes ou tuniques longues, larges ou évasées, alors que les tenues devaient en principe être « ajustées près du corps » et que les maillots de bain-short restaient interdits.

Par une ordonnance rendue le 25 mai 2022, le Tribunal administratif de Grenoble avait suspendu une telle modification en retenant qu’en dérogeant à la règle générale d’obligation de porter des tenues près du corps pour permettre à certains usagers de s’affranchir de cette règle dans un but religieux, la Commune avait gravement porté atteinte au principe de neutralité du service public.

Pour confirmer l’ordonnance, le Conseil d’Etat a rappelé dans un premier temps les principes qui gouvernent le fonctionnement des services publics, et notamment le respect de la neutralité du service et l’égalité de traitement des usagers :

« Le gestionnaire d’un service public est tenu, lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité de traitement des usagers. S’il lui est loisible, pour satisfaire à l’intérêt général qui s’attache à ce que le plus grand nombre d’usagers puisse accéder effectivement au service public, de tenir compte, au-delà des dispositions légales et réglementaires qui s’imposent à lui, de certaines spécificités du public concerné, et si les principes de laïcité et de neutralité du service public ne font pas obstacle, par eux-mêmes, à ce que ces spécificités correspondent à des convictions religieuses, il n’est en principe pas tenu de tenir compte de telles convictions et les usagers n’ont aucun droit qu’il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. »

Il a dans un second temps complété ce considérant de principe, afin de préciser les limites à la prise en compte des convictions religieuses des usagers pour l’organisation du service public :

« Cependant, lorsqu’il prend en compte pour l’organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l’ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l’obligation de neutralité du service public. »

En l’espèce, le Conseil d’Etat statuant en appel a retenu que :

  • D’une part il ressortait du contexte dans lequel la modification du règlement avait été adoptée que le nouvel article 10 du règlement avait pour seul objet d’autoriser les costumes de bains communément appelés « Burkini » ;

 

  • D’autre part, la dérogation à la règle commune interdisant les habits larges ne répondait en réalité qu’au seul souhait de la Commune de satisfaire à une revendication religieuse d’une certaine catégorie d’usagers et non de tous les usagers du service.

Au regard de ces deux éléments, le Conseil d’Etat a jugé que :

« Si, ainsi qu’il a été rappelé au point précédent, une telle adaptation du service public pour tenir compte de convictions religieuses n’est pas en soi contraire aux principes de laïcité et de neutralité du service public, d’une part, elle ne répond pas au motif de dérogation avancé par la commune, d’autre part, elle est, par son caractère très ciblé et fortement dérogatoire à la règle commune, réaffirmée par le règlement intérieur pour les autres tenues de bain, sans réelle justification de la différence de traitement qui en résulte. Il s’ensuit qu’elle est de nature à affecter tant le respect par les autres usagers de règles de droit commun trop différentes, et ainsi le bon fonctionnement du service public, que l’égalité de traitement des usagers. »

En conséquence, la Commune a méconnu les principes qui encadrent la possibilité pour le gestionnaire du service public d’adapter ce service, y compris pour prendre en compte des convictions religieuses et le Tribunal administratif de Grenoble n’a pas statué au-delà des conclusions en estimant que la disposition litigieuse du règlement des piscines municipales portait gravement atteinte au principe de neutralité des services publics.