Par un arrêt en date du 14 mars 2022 (CE, 14 mars 2022, n° 458257), le Conseil d’État a rappelé les conditions d’appréciation du délai raisonnable de jugement.
Dans une décision du 28 Juin 2002 (CE, 28 juin 2002, n° 239575), le Conseil d’État avait, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1 de la convention européenne des droits de l’Homme, dégagé les critères d’appréciation du caractère excessif de la durée d’une procédure.
Après avoir consacré un principe général du droit à un « délai raisonnable de jugement », la Haute juridiction avait ainsi précisé que :
« le caractère raisonnable du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier de manière à la fois globale – compte tenu, notamment, de l’exercice des voies de recours – et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l’intérêt qu’il peut y avoir, pour l’une ou l’autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement (…) ».
Dans la présente affaire, le requérant contestait la décision implicite de rejet, par laquelle le garde des sceaux avait refusé de faire droit à sa demande d’indemnisation en réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi du fait de la durée excessive de la procédure engagée devant la juridiction administrative.
En effet, à la suite de procédures devant le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Lyon, lesquelles avaient duré respectivement deux ans et dix mois et deux ans et près de quatre mois, le Conseil d’État, statuant au contentieux, avait définitivement rendu une décision le 21 juin 2021, soit sept ans et trois mois après l’introduction, par l’intéressé, de sa demande.
Pour autant, et après avoir fait application des principes dégagés dans sa décision du 28 juin 2002, le Conseil d’État a considéré que :
« Il résulte également de l’instruction que le comportement de M. D… durant l’instruction de sa demande et de sa requête d’appel a contribué à l’allongement de la durée de ces procédures, dès lors qu’en première instance, il n’a produit son mémoire en réplique que deux ans après l’introduction de sa demande et qu’en appel, il a sollicité et obtenu un délai supplémentaire de six mois pour produire un nouveau mémoire. De plus, il résulte de l’instruction que le litige introduit par M. D… présentait un certain degré de difficulté, dès lors qu’à l’appui de sa demande d’annulation de l’arrêté du 14 août 2013 mettant fin à la concession de logement dont il bénéficiait, il soutenait devant les juges du fond que la délibération du 28 juin 2013 du conseil d’administration du SDIS du Rhône était entachée d’illégalité au motif, d’une part, que les biens cédés appartenaient au domaine public du SDIS du Rhône et, d’autre part, à supposer que ces biens fassent partie du domaine privé du SDIS, que leur cession à un prix inférieur à leur valeur n’était pas justifiée par un motif d’intérêt général et ne comportait pas des contreparties suffisantes. Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’espèce, ni la durée de deux ans et dix mois, devant le tribunal administratif de Lyon, ni celle de près de deux ans et quatre mois, devant la cour administrative d’appel de Lyon, n’apparaissent excessives, et qu’en outre, la durée globale de la procédure de près de sept ans et trois mois, laquelle doit se calculer à compter de la date de saisine du tribunal administratif et non, comme le soutient M. D…, à compter de l’introduction de son recours gracieux, ne présente pas non plus de caractère excessif. ».
En conclusion, si cette décision n’apporte pas d’éléments réellement nouveaux quant à l’application des critères d’appréciation de la durée excessive de la procédure devant les juridictions, elle permet néanmoins de rappeler que tout délai « déraisonnable » ne donne pas droit à réparation dès lors qu’il est tenu compte, pour l’appréciation du caractère raisonnable ou non d’une procédure, de sa complexité, de ses conditions de déroulement et de l’intérêt qu’il peut y avoir, pour une partie à ce que le litige soit tranché rapidement.
On peut néanmoins légitimement s’interroger si un délai de sept ans et trois mois est vraiment raisonnable pour trancher un litige relatif à une demande d’annulation d’une décision mettant fin à la concession d’un logement de fonction… Le temps de la « justice » sans doute… mais un temps bien long quand même.