Ne pas imposer le versement d’une redevance d’occupation du domaine public à son cocontractant est clairement un cadeau empoisonné, telle pourrait être la morale de la décision commentée.
CAA Douai, 17 mars 2022, Association club nautique de la baie de Somme, n° 20DA00770
A l’origine de cette affaire se trouve une convention conclue le 11 février 1994, par laquelle la commune du Crotoy a confié à l’association club nautique de la baie de Somme (CNBS) la gestion de son port de plaisance. Cette convention a été résiliée par une décision du maire du Crotoy du 27 septembre 2011 et les ouvrages ont été remis à la commune le 11 octobre 2012.
Postérieurement à la résiliation de la convention, la commune a émis un titre exécutoire mettant à la charge de l’association CNBS une somme de 21 558 euros toutes taxes comprises au titre de l’indemnisation du coût des études nécessaires à la réalisation des travaux de réhabilitation du port de plaisance qui, manifestement, n’avait pas été entretenu de manière satisfaisante par l’association occupante.
La Cour administrative d’appel de Douai était saisie, en appel, de la légalité de ce titre exécutoire.
Dans ce cadre, la Cour administrative d’appel de Douai juge qu’est illicite et doit être annulée une convention portant autorisation d’occupation du domaine public communal n’ayant fixé aucune contrepartie financière tenant spécifiquement à l’occupation privative de ce domaine public, en méconnaissance du principe énoncé à l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
Cette décision appelle deux séries d’observations.
Tout d’abord, on rappelle que toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique doit obligatoirement donner lieu au paiement d’une redevance, c’est le principe.
Principe qui connait néanmoins plusieurs exceptions. Notamment, l’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement « aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d’un intérêt général » (art. L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques).
En l’espèce, l’association qui assurait la gestion d’une base de plaisance est regardée, implicitement mais nécessairement, par la Cour comme ayant un but lucratif. Sans quoi cette dernière n’aurait pas sanctionné l’absence de paiement d’une redevance à la personne publique.
La non-lucrativité de l’association doit, dès lors, constituer un point de vigilance majeur pour la personne publique avant de lui délivrer gracieusement un titre d’occupation, c’est le premier enseignement de cette décision.
Ensuite, il est important de rappeler que, conformément à la décision du Conseil d’Etat dite « Béziers I », le juge qui constate le caractère illicite du contenu du contrat, ou relève un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel (CE, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802).
En l’espèce, après avoir reconnu le caractère illicite du contenu du contrat, en raison de l’absence de redevance mise à la charge de l’association occupante du domaine public, le juge était tenu d’écarter le contrat et de régler le litige sur un terrain extra-contractuel, ce qui a eu des conséquences très lourdes pour la commune.
En effet, sur un terrain extra-contractuel, les parties ne sont recevables à invoquer que des moyens tirés de l’enrichissement sans cause que l’application du contrat annulé a apporté à l’autre partie en vue d’obtenir le remboursement des dépenses qui ont été utiles (CE,10 avril 2008, Société Decaux, n° 244950, n° 284439, n° 284607). Étant précisé que les parties peuvent invoquer ces moyens pour la première fois en appel (CE, 20 octobre 2000, Citécable Est, n°196553).
Pour dire les choses clairement, l’indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause suppose qu’il soit démontré que les versements dont la collectivité demande le remboursement ont indûment enrichi l’ancien cocontractant.
Or, en l’espèce, la Cour administrative d’appel de Douai rappelle que : « La circonstance que l’association se soit abstenue, selon la commune, de faire face à l’entretien des installations, si elle peut constituer une faute au regard d’une obligation de conserver le domaine public occupé en l’état, ne peut pas être pour autant regardée comme ayant, par elle-même, directement enrichi l’association, alors que comme l’indique d’ailleurs la commune, l’enrichissement de l’association procède en réalité de l’utilité procurée par l’occupation du domaine public ».
Autrement dit, la Cour administrative d’appel de Douai estime que si l’absence d’entretien du domaine public par l’association CNBS serait susceptible de s’analyser comme une faute, le non-respect de cette obligation n’a, en tout état de cause, pas enrichi ladite association et, partant, ce manquement n’est pas susceptible de donner lieu à indemnisation pour la commune appelante.
Un brin moralisatrice, la Cour administrative d’appel de Douai ajoute que, l’enrichissement de l’association procède, en réalité, de l’utilité procurée par l’occupation du domaine public et semble ainsi suggérer que la commune aurait pu solliciter une indemnisation au titre de la période d’occupation irrégulière (car gratuite).
Ce qui est plutôt logique dans la mesure où une commune est, par ailleurs, fondée à réclamer à l’occupant sans titre de son domaine public, au titre de la période d’occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu’elle aurait pu percevoir d’un occupant régulier pendant cette période (CE, 16 mai 2011, Commune de Moulins, n°317675).
Autrement dit, alors même que la convention déclarée nulle par le juge ne mettait à la charge du cocontractant aucune redevance d’occupation domaniale, la Cour semble suggérer que la commune aurait dû demander, sur le fondement de l’enrichissement sans cause, une indemnité compensant les revenus qu’elle aurait pu percevoir durant l’occupation litigieuse. C’est le deuxième enseignement de cette décision.
La commune du Crotoy qui n’avait pas demandé de substitution de la base légale de son titre exécutoire voit la Cour d’appel confirmer le jugement de première instance annulant ledit titre.