Le respect du principe de parité dans le cadre de la transposition du RIFSEEP aux agents des collectivités territoriales a soulevé des interrogations en pratique et le Conseil d’Etat vient d’y répondre clairement dans le cadre d’un arrêt qui vient d’être rendu.
CE, 22 novembre 2021, n°448779
1- Le principe de parité …
Le principe de parité, posé par l’article 88 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984, prévoit qu’une collectivité est libre de fixer elle-même la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités bénéficiant aux fonctionnaires de la collectivité, sans que le régime ainsi institué puisse être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l’État d’un grade et d’un corps équivalents au grade et au cadre d’emplois de ces fonctionnaires territoriaux et sans que la collectivité soit tenue de faire bénéficier ses fonctionnaires de régimes indemnitaires identiques à ceux des fonctionnaires de l’État (voir en ce sens : Conseil d’État, 7 juin 2010, n°312506).
S’agissant des agents de l’État les règles régissant le régime indemnitaire en cas de maladie sont fixés par le décret n° 2010-997 du 26 août 2010. Ce décret prévoit ainsi que le régime indemnitaire est maintenu dans les mêmes conditions que le traitement en cas de congé de maladie ordinaire et de congé pour invalidité temporaire imputable au service, mais ne l’est pas pour les congés de longue maladie et les congés de longue durée.
En application du principe de parité, une délibération qui instaurerait le maintien de l’IFSE en cas de congé de longue maladie ou de longue durée serait donc plus favorable que ce qui est prévu pour les agents de l’État.
2- Son application divergente par les CAA …
Dans le cadre d’un arrêt du 17 novembre 2020, la Cour administrative de Nancy a considéré qu’une délibération prévoyant le maintien intégral de l’IFSE pour les fonctionnaires placés en congé de longue durée ou en congé de longue maladie ne méconnaissait pas le principe de parité. Elle a, en effet, fait une interprétation spécifique du principe de parité au regard du RIFSEEP, pour juger que :
« les collectivités territoriales qui décident de mettre en place un régime indemnitaire tenant compte, pour une part, des conditions d’exercice des fonctions et, pour l’autre part, de l’engagement professionnel des agents demeurent libres de fixer les plafonds applicables à chacune des parts, sous la seule réserve que leur somme ne dépasse pas le plafond global des primes octroyées aux agents de l’Etat exerçant des fonctions équivalentes. Elles sont également libres de déterminer les critères d’attribution des primes correspondant à chacune de ces parts»
Cette interprétation se basait notamment, et à notre sens, sur l’alinéa 3 de l’article 88 qui prévoit que les collectivités sont tenues de respecter le plafond constitué de la somme des deux parts du RIFSEEP et d’organiser le régime indemnitaire de leurs agents et le montant plafond dans chacun des groupes de fonctions, dans la limite du plafond global des deux parts, octroyé aux agents de l’État. Or, dans cette espèce, la Cour a considéré qu’il n’était pas démontré que ce plafond global était dépassé.
Elle a en conséquence considéré que :
« d’une part, (…) la commune de Charleville-Mézières était libre de déterminer les critères d’attribution des primes correspondant à la part du RIFSEEP que constitue l’IFSE, et si, comme le soutient le préfet, aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit le maintien du versement des indemnités attachées à l’exercice des fonctions pendant les périodes de congés de longue durée ou de longue maladie, il n’y en a pas davantage qui fasse obstacle à ce qu’une collectivité territoriale puisse légalement, lorsque des circonstances particulières lui paraissent le justifier, procéder à un tel maintien. D’autre part, la circonstance que les conditions d’attribution de l’IFSE soient, de ce seul point de vue, plus avantageuses que celles dont bénéficient les agents de l’Etat exerçant des fonctions équivalentes n’est pas, par elle-même, de nature à établir que la somme de la part IFSE et de la part CIA du RIFSEEP en litige dépasserait le plafond global des primes octroyées aux agents de l’Etat, ni que, par conséquent, ce régime indemnitaire méconnaîtrait le principe de parité entre les agents relevant des diverses fonctions publiques. »
Cette jurisprudence a surpris la doctrine dans la mesure où elle est à contre-courant de plusieurs décisions rendues en première instance qui ont toutes censurées le maintien de l’IFSE pendant les congés de longue maladie ou les congés de longue durée, sur le fondement du principe de parité (notamment TA de Melun, 25 juin 2020, n° 1906861).
Néanmoins et très récemment, un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris (CAA de PARIS, 4ème chambre, 9 avril 2021, 20PA01766) a jugé a contrario de la Cour administrative de Nancy, pour déclarer illégale une délibération prévoyant le maintien du régime indemnitaire en cas de congé de longue maladie ou de congé longue durée.
Elle n’a pas, à la différence de la Cour administrative d’appel de Nancy, repris le critère du dépassement du plafond global pour l’application du principe de parité. Dès lors, elle a repris le considérant de principe relatif au principe de parité pour en conclure que :
« (…) en prévoyant le maintien des indemnités aux agents placés en congés de longue maladie, de longue durée ou de grave maladie d’une indemnité attachée à l’exercice des fonctions, la commune de Bonneuil-sur Marne a créé au profit de ses agents un régime indemnitaire plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l’Etat et a, par suite, méconnu le principe de parité entre les fonctions publiques. »
La Cour est donc revenue à une appréciation stricte du principe de parité pour considérer que le maintien des indemnités pendant un congé de longue maladie ou de longue durée constituait bien un régime plus favorable que celui des fonctionnaires de l’État.
3- Question finalement tranchée par le Conseil d’Etat …
Le Conseil d’Etat vient de lever l’ambiguïté dans le cadre d’un arrêt en date du 22 novembre 2021 (n°448779) en annulant l’arrêt de la CAA de Nancy en jugeant sans ambiguïté :
« Il résulte de ces dispositions que les fonctionnaires de l’Etat placés en congé de longue maladie ou de longue durée n’ont pas droit au maintien des indemnités attachées à l’exercice des fonctions, au nombre desquelles figure l’IFSE prévue à l’article 1er du décret du 20 mai 2014 portant création d’un RIFSEEP dans la fonction publique de l’Etat. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le régime indemnitaire fixé par la délibération contestée du conseil municipal de Charleville-Mézières se distingue du régime applicable aux fonctionnaires de l’Etat en ce qu’il prévoit le maintien de plein droit de l’IFSE instituée au profit des agents de cette collectivité en cas de congé de longue durée ou de longue maladie. Il en résulte qu’en jugeant que ce régime indemnitaire n’était pas plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l’Etat exerçant des fonctions équivalentes et que par suite le principe de parité entre les agents relevant des différentes fonctions publiques dont s’inspire l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984, tel que rappelé au point 3, n’avait pas été méconnu, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. »
Michaël VERNE