Cour administrative d’appel de Bordeaux, Ordonnance du 2 juin 2021, N°20BX02408
Par un arrêté préfectoral du 26 janvier 1972, un port de pêche et de plaisance a été concédé à une Chambre de commerce et d’industrie pour une durée de cinquante ans.
La fin de cette délégation de service public, à l’initiative de la communauté d’agglomération ayant succédé à l’État, a donné lieu à un différend entre l’autorité concédante et son ancien délégataire conduisant ce dernier à saisir le juge administratif d’une demande d’indemnité portant, entre autres choses, sur les conditions de retour de certains biens.
Il est, en effet, de jurisprudence constante « qu’en cas de résiliation d’une délégation de service public avant son terme et quel qu’en soit le motif, le délégataire a droit à être indemnisé de la valeur non amortie des biens de retour » (CE, 4 mai 2015, Société Domaine Porte des neiges, n°383208 ; CE, 27 février 1935, Société des eaux Courtenay : Lebon, p. 256).
L’originalité de cette affaire tenait au fait que le délégataire avait saisi le tribunal administratif, non pas d’un recours au fond, mais d’un référé provision en application de l’article R. 541-1 du code de justice administrative lequel dispose que « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ».
Sur le fondement de ces dispositions et de la jurisprudence précitée, le délégataire sollicitait donc l’allocation d’une provision correspondant à la valeur nette comptable (VNC) de travaux ayant pour objet le confortement des digues et l’aménagement des bassins et des quais. Travaux, qu’il avait financé et réalisé en application du contrat et qui étaient constitutifs, selon lui, d’aménagements indispensables à l’exécution des missions du service public délégué et donc de biens de retour au sens de la décision du Conseil d’État Commune de Douai (21 septembre 2012 n°342788).
Le délégataire estimait, au surplus, que l’indemnité due par l’autorité concédante au titre des biens lui faisant retour en fin de contrat et qui sont nécessaires au bon fonctionnement du service public devait être regardée une créance « non sérieusement contestable », au sens des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, puisqu’il était impossible d’y déroger, en l’espèce, en présence de deux cocontractants personnes morales de droit public (CE, 25 octobre 2017, Commune du Croisic, n° 402921, Mentionné au Lebon).
En défense, l’autorité concédante soutenait astucieusement que le juge des référés, statuant sur le fondement des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, ne pouvait allouer une provision au titre de la valeur non amortie des biens de retour, dès lors que la question de la qualification des biens d’une concession soulève « une question de droit sérieuse » dont le juge du référé provision ne peut avoir à connaître
En première instance, le juge des référés va pourtant « sauter le pas » et condamner l’autorité concédante à verser à son ancien concessionnaire un peu moins de deux millions d’euros d’indemnités non sans avoir considéré que ces aménagements réalisés et financés par le concessionnaire étant indispensables à l’exécution des missions du service public délégué ils appelaient en conséquence « une évidente qualification de biens de retour » au sens de la décision du Conseil d’État Commune de Douai (21 septembre 2012 n°342788).
Solution confirmée, dans son intégralité, par le juge des référés d’appel de la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
Ces décisions sont intéressantes à maints égards.
D’abord, parce qu’elles donnent leur plein effet au principe selon lequel « pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s’assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l’existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n’a d’autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l’obligation dont les parties font état » (CE, 17 janvier 2020, Régie des eaux du canal de Belletrud, n° 433506, Mentionné au Lebon).
Ensuite et surtout, parce qu’elles démontrent que le concessionnaire de service public qui voit son contrat de délégation de service public résilié, y compris pour faute, n’est pas dépourvu de tout moyen d’action pour agir face à une autorité concédante qui tarderait, ou renâclerait, à l’indemniser au titre de la valeur nette comptable (VNC) des installations qu’il a dû financer et réaliser en application du contrat de concession et qui ont fait retour gratuitement à l’autorité concédante.
En effet, ces décisions offrent au concessionnaire de service public une voie de Droit, alternative, efficace et plutôt rapide face au traditionnel recours au fond dont l’instruction peut prendre plusieurs années devant le Juridictions administratives.