Tout en rappelant le principe de l’interdiction faite aux personnes publiques de renoncer aux intérêts moratoires, le Conseil d’État a jugé qu’une concession d’aménagement pouvait être requalifiée en marché public eu égard à l’absence de transfert de risque lié à l’exploitation.

 

Conseil d’État, 18 mai 2021, n° 443153

 

Dans cette affaire, la commune de Liévin a confié, par un contrat en date du 12 août 1991, l’aménagement d’une friche à une société locale. Par une délibération du 17 mars 2006, la Communauté d’agglomération de Lens-Liévin (venue aux droits de la commune de Liévin) a clôturé l’opération d’aménagement, en raison d’un déficit de 857 664 euros.

 

Par une délibération du 1er juin 2015, le Conseil communautaire de Lens-Liévin a autorisé son président à signer un contrat de transaction avec la société, afin de lui régler une somme égale au déficit, en contrepartie de la renonciation de la société à réclamer des intérêts moratoires (évalués à 158 746 euros) et à engager toute action relative à l’exécution du contrat.

 

Des élus communautaires ont alors demandé au Tribunal administratif de Lille, à titre principal, d’annuler le protocole transactionnel conclu le 13 août 2015 mettant fin au litige concernant la concession d’aménagement et d’ordonner les restitutions qu’implique l’annulation du contrat et, à titre subsidiaire, d’annuler la délibération autorisant la signature du protocole transactionnel et enjoindre aux parties de procéder à la résolution du contrat ou, à défaut, de saisir le juge du contrat pour qu’il prononce l’annulation de la transaction.

 

Par un jugement du 16 octobre 2018, le Tribunal administratif de Lille a annulé le protocole transactionnel, sauf à ce que le Conseil communautaire adopte une nouvelle délibération autorisant la signature du contrat, au terme d’une procédure respectant le droit à l’information des élus.

 

La Cour administrative d’appel de Douai a, par un arrêt du 27 février 2020, annulé ce jugement et le protocole transactionnel. Les deux parties se pourvoient en cassation.

 

Plusieurs éléments sont à relever dans la décision du Conseil d’État.

 

Premièrement, il rappelle le principe de l’interdiction de la renonciation aux intérêts moratoires à l’occasion de la conclusion d’un marché public. En effet, l’article 67 de la loi du 8 août 1994 dispose que :

« Dans le cadre des marchés publics, y compris les travaux sur mémoires et achats sur factures, est réputée non écrite toute renonciation au paiement des intérêts moratoires exigibles en raison du défaut, dans les délais prévus, soit du mandatement des sommes dues, soit de l’autorisation d’émettre une lettre de change-relevé, soit du paiement de celle-ci à son échéance ».

 

Ce principe se trouve aujourd’hui codifié à l’article L. 2192-14 du Code de la commande publique.

 

Deuxièmement, il juge qu’une concession d’aménagement, nonobstant sa qualification formelle, peut être requalifiée en marché public eu égard à l’absence de transfert de risque lié à l’exploitation.

 

Troisièmement, bien que la loi du 8 août 1994 soit postérieure au contrat litigieux, le Conseil d’État juge qu’elle est applicable à l’espèce au protocole ayant pour objet de mettre fin au litige concernant la concession d’aménagement conclue par les parties :

 

« Ces dispositions interdisent de façon absolue toute renonciation aux intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics, que cette renonciation intervienne lors de la passation du marché ou postérieurement. Il s’ensuit que la cour administrative d’appel de Douai n’a pas commis d’erreur de droit […] »

 

Ce faisant, le juge administratif, réaffirme sa jurisprudence « Ministre de l’Intérieur » (CE, 17 octobre 2003, n° 249822) dans laquelle il avait admis pour la première fois que « toute délibération de l’organe délibérant de la personne publique responsable du marché qui autoriserait une transaction avec le titulaire du marché ou ses sous-traitants par laquelle ceux-ci renonceraient à tout ou partie des intérêts qui leur seraient dus serait illégale, quel que soit le moment où elle interviendrait ».

 

La Cour administrative d’appel ayant valablement annulé le jugement et le protocole transactionnel illégal en ce qu’il méconnait l’interdiction de renoncer aux intérêts moratoires, les pourvois sont rejetés.