Par trois arrêts rendus le 1er juin 2021, la Cour administrative d’appel de Lyon a, d’une part, confirmé la légalité de la règlementation de la Métropole de Lyon fixant les conditions de délivrance des autorisations changement d’usage de locaux d’habitation à Lyon, et a, d’autre part, confirmé la légalité des décisions de refus de changement d’usage opposées par la Ville de Lyon aux demandeurs, dans ces trois affaires.
CAA Lyon, 1er juin 2021, n°19LY03088
CAA Lyon, 1er juin 2021, n°19LY03470
CAA Lyon, 1er juin 2021, n°19LY04713
Dans ces trois affaires, la Ville de Lyon, représentée par le Cabinet Itinéraires Avocats, avait opposé des décisions portant refus d’autorisation de changement d’usage aux demandeurs qui ne justifiaient respecter les nouvelles dispositions relatives aux obligations de compensation, entrées et vigueur le 1er février 2018. Pour la première fois, la Cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée tant sur la question de la légalité et de la conventionnalité de cette règlementation que sur la question de son entrée en vigueur.
On relèvera que la Cour avait à trancher une différence de position entre deux chambres du Tribunal Administratif de Lyon qui avaient adopté deux solutions distinctes pour des faits similaires.
I- La règlementation relative au changement d’usage à Lyon
L’obtention d’une autorisation de changement d’usage d’un local d’habitation en local commercial est un préalable indispensable pour pouvoir transformer un appartement à usage d’habitation en local commercial permettant de développer une activité de location meublée de courte durée (Airbnb, Booking, …). Et les collectivités de plus de 200 000 habitants, pour lutter contre la pénurie de logements et la désertification des centres-villes, peuvent mettre en place des règlements locaux contraignants pour les propriétaires et investisseurs désireux de poursuivre une activité de location touristique.
Et il ressort de l’article 12 du règlement de la Métropole de Lyon, fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation à Lyon, que :
« Toute demande de changement d’usage d’un local d’habitation de plus de 60 m² de surface en meublé de courte durée est soumise à compensation dès le 1er m² quel que soit le demandeur. Les locaux d’habitation pouvant être utilisés comme compensation doivent répondre aux conditions mentionnées à l’article 14 du présent règlement. ».
Cette obligation de compensation des locaux transformés dans l’hypercentre de Lyon s’applique systématiquement pour les personnes morales qui doivent compenser la transformation des locaux, même quand il s’agit d’appartements d’une surface inférieure à 60 m².
Il sera observé que cette obligation de compensation est rendue possible par l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation qui dispose que :
« L’autorisation préalable au changement d’usage est délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l’immeuble, après avis, à Paris, Marseille et Lyon, du maire d’arrondissement concerné. Elle peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.«
Pour la ville de Lyon, cette « transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage » est subordonnée aux conditions suivantes :
- Le local transformé par le demandeur doit être situé « dans l’arrondissement concerné par la compensation et au sein du périmètre hypercentre ».
- Il doit « proposer une surface, au minimum, équivalente au local faisant l’objet de la demande de changement d’usage avec toutefois une possibilité d’admettre un logement présentant une surface inférieure de 5% maximum à la surface du local objet de la demande ».
- Ne doit pas se situer en rez-de-chaussée (sauf RDC surélevé), répondre aux conditions du Règlement Sanitaire Départemental (RSD) ainsi qu’aux différentes règles en matière d’hygiène et de sécurité en vigueur.
- « les logements objet du changement d’usage et les locaux de compensation doivent être transformés de façon concomitante ».
II- Conventionnalité et légalité du règlement de la Métropole de Lyon relatif aux conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage
Dans deux des trois affaires soumises au juge d’appel, les demandeurs avaient soulevé l’illégalité et l’inconventionnalité du règlement de la Métropole de Lyon entrée en vigueur le 1er février 2018, en ce que:
- d’une part, les mesures transitoires aménagées par la Métropole de Lyon n’auraient pas été suffisantes et porteraient atteinte à la sécurité juridique
- d’autre part, la règlementation en cause serait incompatible avec la Directive Services 2006/123/CE
S’agissant des mesures transitoires la Cour a jugé que :
« Il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s’imposent à elle, d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.
8. La délibération du 20 décembre 2017 met en oeuvre une politique de lutte contre la pénurie de logement qui constitue un objectif d’intérêt général, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans la décision DC du 20 mars 2014 n° 2014-691. Par ailleurs, le conseil de la métropole de Lyon n’a pas entendu revenir sur les autorisations accordées, mais seulement soumettre les nouvelles demandes à une obligation de compensation équivalente dans les quartiers de l’hyper-centre de Lyon, dans tous les cas à compter de 60 m2, sous certaines conditions en deçà. Si le pouvoir réglementaire n’a reporté qu’au 1er février 2018 l’application de ces nouvelles dispositions, de sorte que certaines demandes déposées avant cette délibération se sont vu appliquer ces nouvelles obligations, une telle situation ne prive pas les propriétaires des biens de les occuper, les vendre ou les louer conformément à leur destination initiale, ni, alors qu’ils n’avaient pas de droit au maintien de la réglementation antérieure, de les affecter à une activité de location de courte durée en assurant la compensation de ce changement d’affectation, conformément à l’objectif fixé par le pouvoir réglementaire. Dans ces conditions, en fixant au 1er février 2018 la date d’effet de cette nouvelle réglementation, le conseil de la métropole de Lyon n’a pas porté une atteinte excessive aux intérêts privés en cause. Il n’a ainsi méconnu ni les dispositions citées au point précédent de l’article L. 221-5 du code des relations entre le public et l’administration, ni le principe de sécurité juridique. »
S’agissant de la compatibilité avec la Directive Services et dans la droite ligne de l’arrêt rendu par la CJUE le 22 septembre 2020 (commenté par le Cabinet ici) et de celui rendu par la Cour de Cassation le 18 février 2021 (commenté par le Cabinet ici), la Cour a jugé que :
« (…) le dispositif de compensation est compatible avec le maintien d’une activité de location de locaux meublés à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile dès lors que, même dans les secteurs de compensation renforcée, il ne fait pas obstacle à l’exercice de cette activité eu égard à la rentabilité accrue de ce type de location par rapport aux baux à usage d’habitation et à la possibilité de satisfaire à l’obligation de compensation, non seulement par la transformation en habitation d’autres locaux détenus par la personne concernée et ayant un autre usage, mais également par d’autres mécanismes, tel l’achat de droits auprès de propriétaires souhaitant affecter à un usage d’habitation des locaux destinés à un autre usage, contribuant ainsi au maintien à un niveau stable du parc de logement de longue durée. Elle apparaît ainsi proportionnée avec l’objectif poursuivi, d’intérêt général, de maintien d’un marché immobilier équilibré ».
III- Entrée en vigueur de la nouvelle règlementation
Enfin, la Cour administrative d’appel de Lyon rappelle que toute nouvelle règlementation a vocation à s’appliquer aux situation en cours et que les demandeurs ne pouvaient se prévaloir d’un droit au maintien de la règlementation applicable :
« 3. Toute disposition réglementaire nouvelle a en principe vocation à s’appliquer aux situations en cours, sans que puisse être invoqué un droit au maintien de la réglementation existante, sous réserve du respect du principe de non-rétroactivité des actes administratifs, qui exclut que de nouvelles dispositions réglementaires s’appliquent à des situations juridiquement constituées avant leur entrée en vigueur. »