Une personne publique a toujours la possibilité d’intenter une action en responsabilité extra-contractuelle, même après avoir émis un titre exécutoire pour recouvrer une créance née d’un contrat.
Conseil d’Etat, 10 juillet 2020, n°429522
Une commune a conclu avec une société de conseil deux marchés de service, au titre desquels elle lui a versé les sommes de 31 000 et 21 000 euros. Elle a, par la suite, émis un titre exécutoire pour récupérer ces sommes qu’elle estimait avoir indûment versées.
La société de conseil a saisi le tribunal administratif de Nantes d’une demande tendant à obtenir l’annulation de ce titre exécutoire. La commune, quant à elle, a également saisi le Tribunal administratif de conclusions tendant à la condamnation de la société à lui payer une somme correspondant à celle qu’elle avait versée en exécution des contrats, sur le fondement de l’enrichissement sans cause de la société, dans la mesure où elle considérait les contrats illicites.
Les juges de première instance ont annulé le titre exécutoire, pour une irrégularité de forme, et rejeté les conclusions de la commune tendant à la condamnation de la société.
La cour administrative d’appel de Nantes, saisie par la commune, a annulé le jugement et, par la voie de l’évocation, rejeté la demande de la commune, au motif qu’une personne publique qui a commencé à recouvrer une créance contractuelle en émettant un titre exécutoire ne serait pas recevable à saisir le juge pour en obtenir l’exécution.
La commune a alors formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat, lequel a d’abord jugé que la Cour avait commis une erreur de droit en affirmant que l’annulation du titre exécutoire pour des motifs de forme entraînait l’extinction de la créance.
Puis, s’agissant de l’articulation entre l’émission d’un titre exécutoire et l’exercice d’une action en responsabilité extra-contractuelle, la Haute juridiction de l’ordre administratif a rappelé qu’en matière contractuelle les collectivités publiques peuvent « soit constater elles-mêmes les créances qu’elles détiennent sur leurs cocontractants et émettre des titres exécutoires, soit saisir le juge administratif d’une demande tendant au recouvrement de ces créances ». En revanche « elles ne peuvent pas saisir d’une telle demande le juge lorsqu’elles ont décidé, préalablement, à cette saisine, d’émettre des titres exécutoires en vue de recouvrer les sommes en litige. Dans un tel cas, dans la mesure où la décision demandée au juge aurait les mêmes effets que le titre émis antérieurement, la demande présentée, fondée sur la responsabilité contractuelle, est dépourvue d’objet et par suite irrecevable. »
Toutefois « cette règle ne s’oppose pas à ce que les collectivités publiques qui ont décidé de constater elles-mêmes les créances contractuelles qu’elles détiennent sur leurs cocontractants et d’émettre des titres exécutoires, puissent saisir le juge administratif d’une demande recherchant la responsabilité extra contractuelle de leurs cocontractants à raison de l’illégalité des contrats en litige. Dans un tel cas, dans la mesure où la demande présentée au juge n’a ni le même fondement ni les mêmes effets que le titre exécutoire émis antérieurement, cette demande fondée sur la responsabilité extra-contractuelle ne peut être regardée comme dépourvue d’objet et par suite irrecevable ».
En l’espèce le Conseil d’Etat a considéré que la commune, qui avait fait le choix de poursuivre le recouvrement de sa créance contractuelle par la voie d’un titre de recette exécutoire, ne pouvait pas saisir le juge de conclusions indemnitaires tendant à recouvrir sa créance issue du contrat. En revanche, elle était bien fondée, après avoir émis un tel titre exécutoire, à engager la responsabilité extra-contractuelle de la société, en raison de l’illégalité du contrat en litige.
En conséquence le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt et renvoyé l’affaire devant la Cour administrative d’appel.