Condamnation de l’Etat par le Tribunal des conflits à réparer le préjudice moral d’une commune lié à une situation prolongée d’incertitude contentieuse.
Tribunal des conflits, 8 juin 2020, Commune de Saint-Esprit c/ Etat, n°4185
Le 15 juin 2001 la commune de Saint-Esprit a confié à la société World Privilèges Club, par convention de trois ans renouvelable, la gestion technique et financière d’une salle de spectacles municipale. Le 5 décembre 2006, la commune a informé la société qu’elle ne souhaitait pas renouveler ce contrat, à compter du 1er juin 2007.
Le volet judiciaire :
De nombreux contentieux ont alors débuté puisque la société a saisi la juridiction judiciaire en soutenant être titulaire d’un bail commercial et en se prévalant de l’irrégularité du congé délivré par la commune, laquelle lui a opposé une exception d’incompétence au profit du juge administratif.
Le TGI de Fort-de-France a rejeté la demande de la commune qui a interjeté appel devant la cour d’appel de Fort-de-France. Cette dernière a, le 16 octobre 2009, renvoyé les parties à mieux se pourvoir en rappelant qu’il incombait au juge administratif de trancher la question de savoir si les locaux loués appartenaient au domaine public ou privé de la commune.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt et a estimé que la Cour d’appel aurait dû surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge administratif ait statué. Elle a renvoyé l’affaire devant la même Cour, autrement composée, qui a retenu le 1er mars 2013 le caractère administratif du contrat, en raison de la présence de clauses exorbitantes du droit commun. La Cour de cassation, une nouvelle fois saisie par la société, a confirmé cet arrêt.
Le volet administratif :
Le 1er avril 2010, la société a saisi le juge administratif d’une demande de condamnation de la commune à lui payer la somme de 1 507 730 euros en réparation des préjudices qu’elle estimait avoir subis du fait du non-renouvellement de la convention. En retour, la commune a formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 157 641,38 euros.
Par une ordonnance du 29 décembre 2011, le président du tribunal administratif de Fort-de-France a transmis la requête au Conseil d’Etat en application des dispositions de l’article R. 351-8 du Code de justice administrative, lequel a transmis la requête au tribunal administratif de Basse-Terre. Par un jugement du 19 février 2015, les juges de première instance ont rejeté les demandes de la société et de la commune. La cour administrative d’appel de Bordeaux a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de se prononcer sur la question de la compétence. Ce dernier a retenu la compétence de la juridiction administrative et a renvoyé le litige devant cette Cour qui a fini par rejeter les demandes des deux parties.
La réparation du préjudice devant le Tribunal des conflits :
Le 2 septembre 2019, la commune a demandé à la ministre de la justice le versement d’une indemnité de 202 449,20 euros en réparation des préjudices matériels et moraux qu’elle estimait avoir subis en raison de la durée excessivement longue de toutes ces procédures, en application de l’article 43 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles. En l’absence de réponse de la ministre, la commune a saisi le Tribunal des conflits le 31 décembre 2019.
Le Tribunal des conflits a identifié les procédures portant sur le même litige, qui ont été conduites par les mêmes parties, devant les juridictions des deux ordres, a calculé que la durée totale des procédures contentieuses était équivalente à plus de douze ans, et considéré que cela représentait un délai excessif, compte tenu de l’absence de complexité du litige.
Pour ce motif, le Tribunal des conflits a considéré que la commune a bien subi un préjudice moral lié à l’incertitude de sa situation qui justifie l’octroi d’une somme de 4 000 euros. En revanche il a refusé de faire droit à sa demande au titre de son préjudice matériel.