Les dispositions par lesquelles le législateur a reporté le second tour des élections au plus tard en juin 2020 et a organisé des dates d’entrée en fonction et des durées de mandat des conseillers municipaux différentes, ne portent pas atteinte aux principes de sincérité du scrutin, d’égalité devant le suffrage, de séparation des pouvoirs et de droit à un recours juridictionnel effectif.
Conseil constitutionnel, décision n°2020-849 QPC, 17 juin 2020
Le 15 mars 2020 avait lieu le premier tour des élections municipales, dont le second tour devait se tenir le dimanche suivant, soit le 22 mars 2020, en application de l’article L. 56 du Code électoral.
En raison du contexte exceptionnel, résultant de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 qui a poussé le Président de la République à mettre en place un confinement national à compter du 17 mars 2020, un décret est intervenu pour abroger la date initialement fixée pour la tenue du second tour et l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a indiqué que le second tour serait « reporté au plus tard en juin 2020 ».
C’est dans ce contexte que les résultats du premier tour des élections de La Brigue ont été contestés devant le tribunal administratif de Nice. A cette occasion, les requérants soulevaient une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 pré-citée, organisant une modification du calendrier des élections municipales, aux droits et libertés garantis par la Constitution. Transmise par le président de la deuxième chambre du Tribunal administratif au Conseil d’Etat, la QPC a ensuite été transmise au Conseil constitutionnel par la Haute juridiction de l’ordre administratif par une décision n°440217 du 25 mai 2020.
Les requérants, soutenus par plusieurs intervenants, reprochaient d’abord à ces dispositions, adoptées postérieurement au premier tour des élections, de reporter le second tour à une date indéterminée, susceptible d’être fixée jusqu’à la fin du mois de juin par le pouvoir règlementaire. Ils soutenaient que cette faculté avait pour effet :
- d’interrompre un processus électoral en cours, alors que le premier tour aurait dû être annulé ;
- de mettre en place un second tour plus de trois mois après le premier tour, ce délai étant excessif dans la mesure où il s’agit d’un bloc indissociable ;
- de créer les conditions d’une forte abstention des électeurs, de nature à méconnaitre les principes de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage.
En outre, ils faisaient valoir que ces dispositions violaient les principes de séparation des pouvoirs et de garantie des droits en validant les résultats du premier tour, sans égard pour les contestations pendantes devant le juge de l’élection, et que la fixation de dates d’entrée en fonction et de durée de mandats des conseillers municipaux différentes, selon qu’ils ont été élus dès le premier tour ou à l’issue du second tour reporté, constituait une méconnaissance du principe d’égalité devant le suffrage.
Concernant le premier alinéa du paragraphe I de l’article 19 relatif au report du second tour :
Le Conseil constitutionnel rappelle d’abord que l’article 34 de la Constitution confère au législateur la compétence pour déterminer la durée du mandat des élus qui composent l’organe délibérant d’une collectivité territoriale et que les principes constitutionnels de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage impliquent une convocation des électeurs selon une périodicité raisonnable.
S’il admet ensuite que les dispositions contestées remettent en cause l’unité du déroulement des opérations électorales, il considère toutefois qu’elles permettent l’expression du suffrage, ce que n’aurait pas permis une annulation pure et simple. Le juge constitutionnel précise alors que pour être conforme à la Constitution cette modification du déroulement des opérations électorales doit être motivée par un motif impérieux d’intérêt général.
Or, il apparaît que le législateur, en organisant ce report du second tour alors qu’il avait déjà été choisi de maintenir le premier tour, a entendu éviter qu’il ne contribue à la propagation de l’épidémie de covid-19, ce qui constitue un motif impérieux d’intérêt général.
Par ailleurs, le délai maximal pour sa tenue, au plus tard au mois de juin 2020, était adapté à la gravité de la situation sanitaire et à l’incertitude entourant l’évolution de l’épidémie. D’autant plus que le soin de fixer la date du second tour a été laissé au pouvoir réglementaire, en subordonnant ce choix à la condition que la situation sanitaire le permette.
Dans la mesure où la date du second tour devait être fixée lorsque la situation sanitaire le permettra, ces dispositions ne peuvent pas être de nature à favoriser l’abstention. Sur ce point, il appartiendra néanmoins au juge de l’élection d’apprécier si le niveau de l’abstention a pu altérer la sincérité du scrutin.
Enfin la continuité des opérations électorales, l’égalité entre les candidats au cours de la campagne et la sincérité du scrutin sont assurés, malgré le délai entre les deux tours, puisque le second tour aura lieu à partir des listes électorales, et des listes électorales complémentaires, établies pour le premier tour, que les plafonds de dépenses électorales pourront être majorées par décret et qu’une partie des dépenses de propagande pourra être remboursée.
Les candidats ayant pu obtenir communication des listes d’émargement des bureaux de vote, ils auront toujours la possibilité de contester les résultats du premier tour.
S’agissant du deuxième point de contestation de cette disposition, les juges de la rue Montpensier ont rappelé que la différence de durée de mandat entre les élus repose sur une différence de situation au regard de l’élection.
Concernant le dernier alinéa du paragraphe I de l’article 19 sur les mandats des élus au premier tour :
Le contrôle exercé sur cet alinéa est beaucoup plus succinct : le juge constitutionnel soutient qu’en se bornant à préciser que ni le report du second tour, ni l’organisation de deux nouveaux tours de scrutin après cette date, n’a de conséquence sur les mandats régulièrement acquis dès le premier tour, cette disposition n’a pas pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales, et qu’elle ne fait pas obstacle aux éventuelles protestations électorales.
En conséquence, il prononce la conformité des premier et dernier alinéas du paragraphe I de l’article 19 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 aux droits et libertés garantis par la Constitution.