L’interdiction générale et absolue de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, sous la seule réserve des cérémonies funéraires de moins de 20 personnes, présente un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique.
Conseil d’Etat, ord., 18 mai 2020, n°440366
Des particuliers et des associations ont introduit des requêtes en référé-liberté afin qu’il soit enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, l’exercice de la liberté de culte.
Dans son ordonnance du 18 mai 2020, le juge rappelle, tout d’abord, que, dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire, les autorités compétentes doivent prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder la santé de la population et limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui risquent de limiter les droits et libertés fondamentaux des administrés, doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique.
Il énumère ensuite les fondements textuels de nature constitutionnelle, conventionnelle et législative de la qualité de liberté fondamentale de la liberté de culte qui comprend, outre le droit d’exprimer ses convictions religieuses dans le respect de l’ordre public, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte.
Il rappelle ensuite les différents textes adoptés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire encadrant les rassemblements et réunions de personnes dans les lieux de culte :
- La loi n°2020-546 du 11 mai 2020 modifiant l’article L.3131-15 du code de la santé publique de manière à autoriser le Premier ministre à, lorsque l’état d’urgence sanitaire est déclaré, « ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion », disposition jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;
- Le décret du 11 mai 2020 prévoyant que les établissements de culte sont autorisés à rester ouverts mais que tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit, à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de 20 personnes.
S’il en déduit que les établissements de culte sont restés ouverts et que les fidèles peuvent s’y rendre individuellement, il estime, en raison des « importantes fêtes qui ont eu lieu au printemps dans les trois religions réunissant le plus grand nombre de fidèles en France », que l’urgence, condition sine qua non de la recevabilité d’un référé-liberté, est remplie.
Le Conseil d’Etat rappelle également les modalités de transmission du Covid-19 et estime que les cérémonies de culte, en tant qu’elles ont lieu dans des espaces clos pendant une durée importante avec un grand nombre de personnes et qu’elles impliquent potentiellement des contacts entre ces personnes, exposent les participants à un risque important de contamination. Il reconnaît ainsi la nécessité de réglementer les conditions d’accès et de présence dans les établissements de culte.
Toutefois, il estime que de nombreuses activités qui représentent elles aussi des risques de contamination ont été réglementées de manière moins stricte : services de transport de voyageurs, établissements d’enseignement, etc. Par ailleurs, il juge que, quand bien même d’autres établissements recevant du public ne sont pas autorisés à accueillir de rassemblements, les activités qui y sont exercées ne sont pas de même nature et les libertés fondamentales qui sont en jeu ne sont pas les mêmes. Enfin, il considère que l’interdiction de rassemblement n’est justifiée ni par une difficulté à adopter des règles de sécurité, au vu des différentes propositions formulées par les institutions religieuses, ni par le risque que les règles de sécurité ne soient effectivement pas appliquées.
Il en déduit que « les requérants sont fondés à soutenir […] que l’interdiction générale et absolue […] de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, sous la seule réserve des cérémonies funéraires pour lesquelles la présence de vingt personnes est admise, présente […], alors que des mesures d’encadrement moins strictes sont possibles, […] présente un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière ».
Il enjoint ainsi au Premier ministre de modifier, dans un délai de 8 jours, les dispositions du décret du 11 mai 2020 interdisant les rassemblements et réunions dans les lieux de culte, en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de « déconfinement ».