Une société ne peut pas prétendre à une chance de remporter un marché portant sur la gestion du service de la restauration municipale alors même qu’elle a postérieurement à la résiliation du contrat en litige a conclu avec une commune un marché public pour la gestion du service public de la restauration municipale.
Conseil d’Etat, 28 février 2020, Société Régal des Iles, n°426162
Une commune a lancé une procédure de passation d’une convention de délégation de service public pour la gestion de son service de restauration municipal.
La société RI a saisi le Tribunal Administratif de La Réunion d’un recours en contestation de la validité du contrat, conclu par la commune de Saint-Benoît avec la société S., assorti d’une demande indemnitaire en réparation de son préjudice résultant de son manque à gagner sur une durée de 10 ans et des frais engagés pour la présentation de son offre.
Le Tribunal Administratif a requalifié le contrat en marché public et a prononcé sa résiliation avec effet différé, au vu des vices d’une particulière gravité entachant le contrat.
Suite au rejet de sa demande indemnitaire par le juge de première instance, la Société a formé un appel incident contre ce jugement. La Cour administrative d’Appel a également rejeté ses conclusions d’appel incident tendant à la condamnation de la commune à lui verser la somme de 8 758 890 euros. La Société a formé un pourvoi en cassation.
Le Conseil d’Etat a rappelé sa jurisprudence classique en la matière : le préjudice indemnisable dépend des chances de remporter le contrat du candidat irrégulièrement évincé :
« Il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre,lesquels n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique ».
Se posait ainsi la question de savoir si le candidat évincé était dépourvu ou non de toute chance de remporter le contrat et dans cette seconde hypothèse s’il avait une chance sérieuse de remporter le contrat.
Sur la chance de remporter le contrat
La Société RI avait été admise à présenter une offre dans le cadre de la procédure de conclusion du contrat, cette offre a été classée en 2ème position et la Société s’est vue attribuer le marché public après requalification du contrat.
Ainsi, contrairement à ce qu’avait retenu la CAA, le Conseil d’Etat juge que le recours irrégulier à une procédure de passation des délégations de service public a eu une incidence sur l’éviction de la Société RI et que celle-ci n’était pas dépourvue de toute chance d’obtenir le contrat :
« […] la cour administrative d’appel de Bordeaux a dénaturé les pièces du dossier en estimant, pour rejeter les conclusions indemnitaires de la société R…I… au titre des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre, que le recours irrégulier à la procédure de passation des délégations de service public par la commune de Saint-Benoît n’était pas susceptible d’avoir eu une incidence sur l’éviction de la société Régal des Iles et que celle-ci était dépourvue de toute chance d’obtenir ce marché ».
La société RI peut ainsi prétendre à une indemnité couvrant les frais engagés pour présenter son offre.
Sur la chance sérieuse de remporter le contrat conclu avec un autre candidat
En revanche, le CE a considéré que les irrégularités affectant la procédure de passation du contrat n’ont pas privé la Société Régal des Iles d’une chance sérieuse d’emporter le contrat.
Le candidat évincé invoquait, pour démontrer qu’il avait été privé d’une chance sérieuse, un argument tiré du fait que c’était lui qui avait remporté le nouveau marché public qui avait pour objet de remplacer le marché résilié par le TA de la Réunion pour la gestion du service de restauration municipale.
Le Conseil d’Etat ne suit pas cet argument et considère que :
« Les irrégularités mentionnées ci-dessus n’avaient pas privé la société d’une chance sérieuse d’emporter le marché en litige alors même que cette société a, postérieurement à la résiliation du contrat en litige, conclu avec la commune de Saint-Benoît un marché public pour la gestion du service de restauration municipale ».
Ainsi, la Société n’est pas fondée à obtenir l’indemnisation de son manque à gagner.