L’article 11 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance, afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, toute mesure :
a) Adaptant les délais et procédures applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives, les délais et les modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité, préalables à la prise d’une décision par une autorité administrative et, le cas échéant, les délais dans lesquels cette décision peut ou doit être prise ou peut naitre ainsi que les délais de réalisation par toute personne de contrôles, travaux et prescriptions de toute nature imposées par les lois et règlements, à moins que ceux-ci ne résultent d’une décision de justice ;
b) Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions ;
c) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions ;
En application de ces dispositions, le Gouvernement a adopté :
Dispositions générales relatives à la prorogation des délais
L’ordonnance prévoit une prorogation des délais échus pendant la période allant du 12 mars à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence, sauf exceptions expressément visées par l’ordonnance (elle ne concerne notamment pas les délais relatifs aux voies d’accès à la fonction publique).
Pour rappel, conformément aux dispositions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’état d’urgence a été déclaré pour une durée de 2 mois à compter du 25 mars (date d’entrée en vigueur de la loi) et doit donc s’achever, sous réserve d’une éventuelle prolongation, le 24 mai à minuit.
Ainsi, « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque », de même que « tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit » qui aurait du être réalisé dans le délai susvisé sera réputé avoir été fait dans les délais s’il est accompli dans un délai ne pouvant excéder le délai qui devait être respecté à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois suivants cette date (article 2 de l’ordonnance).
De la même manière, sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire, certaines mesures administratives ou juridictionnelles et dont le terme vient à échéance au cours de la période définie supra, notamment les mesures d’enquête, d’instruction ou de médiation ou encore les autorisations et permis (article 3 de l’ordonnance).
Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie supra.
Ces mesures produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme.
Les mesures qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendues pendant la période définie supra (article 4 de l’ordonnance).
Enfin, s’agissant des conventions devant être résiliées ou renouvelées dans un délai déterminé, ce délai est prolongé s’il expire durant la période définie supra, pour une durée de deux mois après la fin de cette période (article 5 de l’ordonnance).
Dispositions particulières aux délais et procédures en matière administrative
L’ordonnance prévoit également des dispositions spécifiques aux délais et procédures en matière administrative s’appliquant aux administrations de l’Etat, aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics administratifs ainsi qu’aux organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif.
Tout d’abord, les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’une de ces personnes peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période mentionnée supra.
Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant cette période est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci.
Les mêmes règles s’appliquent aux délais impartis aux personnes pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ainsi qu’aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public.
De la même manière, lorsqu’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, les délais imposés par l’administration à toute personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute naturesont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période visée supra, sauf lorsqu’ils résultent d’une décision de justice.
Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant cette période est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci.
L’ordonnance prévoit cependant qu’un décret viendra lister les exceptions à ces suspensions et prorogations de délais pour des motifs liés à la protection des intérêts fondamentaux de la Nation, à la sécurité ou encore à la salubrité publique.
Par ailleurs, s’agissant des créances dont le recouvrement incombe aux comptables publics, les délais en cours à la date du 12 mars 2020 ou commençant à courir au cours de la période définie supra, sont suspendus jusqu’au terme d’un délai de deux mois suivant la fin de cette période.
Enfin, s’agissant plus particulièrement des enquêtes publiques qui sont en cours ou qui devaient être organisées pendant la période susvisée :
– Lorsque le retard résultant de l’interruption de l’enquête publique ou de l’impossibilité de l’accomplir en raison de l’état d’urgence sanitaire est susceptible d’entraîner des conséquences difficilement réparables dans la réalisation de projets présentant un intérêt national et un caractère urgent, l’autorité compétente pour organiser l’enquête publique peut en adapter les modalités :
> En prévoyant que l’enquête publique en cours se poursuit en recourant uniquement à des moyens électroniques dématérialisés. La durée totale de l’enquête peut être adaptée pour tenir compte, le cas échéant, de l’interruption due à l’état d’urgence sanitaire. Les observations recueillies précédemment sont dûment prises en compte par le commissaire enquêteur ;
> En organisant une enquête publique d’emblée conduite uniquement par des moyens électroniques dématérialisés.
– Lorsque la durée de l’enquête excède la période définie au I de l’article 1er de la présente ordonnance, l’autorité compétente dispose de la faculté de revenir, une fois achevée cette période et pour la durée de l’enquête restant à courir, aux modalités d’organisation de droit commun énoncées par les dispositions qui régissent la catégorie d’enquêtes dont elle relève.
Dans tous les cas, le public est informé par tout moyen compatible avec l’état d’urgence sanitaire de la décision prise en application du présent article.
Elle adapte les règles applicables à l’ensemble des juridictions de l’ordre administratif, pour la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020.
Organisation et fonctionnement des juridictions :
L’ordonnance permet :
– de compléter des formations de jugement grâce à l’adjonction de magistrats issus d’autres juridictions,
– à des magistrats ayant le grade de conseiller et une ancienneté minimale de deux ans de statuer par ordonnance dans les conditions prévues à l’article R. 222-1 du code de justice administrative. Ainsi, ces magistrats sont compétents pour donner acte des désistements, rejeter les requêtes ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, constater les non-lieu à statuer, rejeter les requêtes manifestement irrecevables, statuer sur les requêtes où seule la condamnation au titre de l’article L.761-1 du CJA reste à trancher, statuer sur les requêtes en série, rejeter les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.
– de communiquer aux parties des pièces, actes et avis par tout moyen ;
– de tenir des audiences à huis clos ou en publicité restreinte ;
– de tenir des audiences en usant de moyen de communication audiovisuelle ou, en cas d’impossibilité, par tout moyen de communication électronique ;
– de dispenser dans toutes matières le rapporteur public d’exposer des conclusions lors de l’audience ;
– de statuer sans audience sur des requêtes présentées en référé ;
– de statuer sans audience sur les demandes de sursis à exécution ;
– de rendre publiques les décisions de justice par mise à disposition au greffe de la juridiction ;
– de faire signer la minute des décisions par le seul président de la formation de jugement ;
– de notifier la décision à l’avocat de la partie qu’il représente ;
– de ne pas prononcer lors de l’audience les jugements relatifs aux mesures d’éloignement des étrangers placés en centre de rétention.
Adaptation des délais de procédure :
– Les interruptions de délais prévus au titre I de l’ordonnance relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période trouvent à s’appliquer devant les juridictions de l’ordre administratif, sauf dérogations en matière de droit des étrangers, de droit électoral et d’aide juridictionnelle.
– Contestation du premier tour des élections municipales : S’agissant du droit électoral, l’ordonnance prévoit que les réclamations et les recours mentionnées à l’article R. 119 du code électoral peuvent être formées contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020.
Ainsi, alors que le délai de 5 jours à compter de la proclamation des résultats, fixé à l’article R.119 du Code électoral, pour contester les opérations du premier tour, était d’ores-et-déjà expiré, l’ordonnance rouvre un nouveau délai de contestation qui n’expirera qu’au cinquième jour suivant l’installation des nouveaux élus, date d’installation non connue à ce jour.
– les clôtures d’instruction dont le terme vient à échéance du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de ladite période, à moins que ce terme ne soit reporté par le juge.
– le point de départ des délais impartis au juge pour statuer est reporté au premier jour du deuxième mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire, sauf dérogations en matière de droit des étrangers et de droit électoral. S’agissant du droit électoral, le délai imparti au tribunal administratif pour statuer sur les recours contre les résultats des élections municipales générales organisées en 2020 expire, sous réserve de l’application de l’article L. 118-2 du code électoral, le dernier jour du quatrième mois suivant le deuxième tour de ces élections.