CE, 24 décembre 2019, req. n°425981, 425983, 428162
Le Conseil d’Etat reconnait le droit à l’indemnisation du préjudice subi à raison de l’application d’une loi déclarée inconstitutionnelle
La société Paris Clichy a demandé au Tribunal Administratif de Paris de condamner l’Etat en réparation des préjudices qu’elle estimait avoir subis du fait de l’application du premier alinéa de l’article 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986, devenu le premier alinéa de l’article L. 442-9 du Code du travail, que le Conseil constitutionnel, dans sa décision 2013-336 QPC du 1er août 2013, a jugé contraire à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel avait relevé qu’en soustrayant les « entreprises publiques » à l’obligation d’instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l’entreprise et en se bornant à renvoyer à un décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui y seraient néanmoins soumises, sans définir le critère en fonction duquel elles seraient ainsi désignées ni encadrer ce renvoi au pouvoir réglementaire, le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions qui affectaient l’exercice de la liberté d’entreprendre.
Or, la société Paris Clichy avait été condamnée, par le Tribunal de grande instance de Paris, à répartir, entre l’ensemble des salariés bénéficiaires, le montant de la participation leur revenant au titre des exercices allant de 1986 à 1995, chiffré à 1 015 080 euros, augmenté des intérêts légaux au profit des salariés requérants.
Elle sollicitait donc le remboursement des sommes qu’elle avait dû verser à ses salariés et anciens salariés en exécution de ce jugement ainsi qu’au titre du forfait social, de la CSG et de la CRDS, en faisant valoir que ce versement était la conséquence de l’inconstitutionnalité des dispositions précitées.
Tant le Tribunal que la Cour Administrative d’Appel de Paris avaient rejeté ses demandes.
La Haute Juridiction reconnait la responsabilité de l’Etat, tout en distinguant les préjudices nés de l’adoption d’une loi, soumis à la responsabilité sans faute sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, du préjudice né de l’application d’une loi « en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes », pour lesquels il précise les conditions d’admission d’une demande en réparation : « la responsabilité de l’Etat n’est susceptible d’être engagée du fait d’une disposition législative contraire à la Constitution que si le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1, lors de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, ou bien encore, sur le fondement de l’article 61, à l’occasion de l’examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine. En outre, l’engagement de cette responsabilité est subordonné à la condition que la décision du Conseil constitutionnel, qui détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause, ne s’y oppose pas, soit qu’elle l’exclue expressément, soit qu’elle laisse subsister tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu’une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause ».
Si ces conditions sont réunies, il appartiendra alors à la victime d’établir la réalité de son préjudice, son montant, et l’existence d’un lien direct de causalité entre l’inconstitutionnalité de la loi et ce préjudice.
A la lumière de ces principes, il rejette la demande de la Société requérante, en considérant que le lien de causalité n’est pas établi.