Seule l’autorité organisatrice des transports peut s’opposer à l’installation des compteurs d’électricité communicants Linky. Ni les pouvoirs de police administrative générale ni le principe de précaution ne peuvent justifier l’intervention du Maire.
Conseil d’Etat, 11 juillet 2019, n°426060
Par une délibération du 16 juin 2016, le conseil municipal de Cast a demandé la mise en place d’un moratoire à l’installation des compteurs d’électricité dénommés » Linky » sur le territoire de la commune en attendant les conclusions de l’étude réalisée sous l’autorité du ministère de la santé relative aux expositions liées au déploiement des compteurs numériques et à leurs conséquences éventuelles en termes de santé publique.
Par une décision du 24 juin 2016, le maire de Cast a décidé de suspendre l’installation de ces compteurs sur le territoire de la commune.
Par une délibération du 28 juillet 2016, le conseil municipal a décidé de maintenir le moratoire à l’installation de ces compteurs et a rejeté en conséquence le recours gracieux formé par la société Enedis à l’encontre de sa précédente délibération.
Par un jugement du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Rennes a annulé, sur la demande de la société Enedis, ces 3 décisions. La commune de Cast se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 5 octobre 2018 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel qu’elle a formé contre ce jugement.
Sur la recevabilité du recours formé par la société ENEDIS
D’une part, le Conseil d’Etat a jugé que la cour administrative d’appel a pu juger, sans erreur de qualification juridique, que les délibérations et décision contestées par la société Enedis présentaient le caractère d’actes faisant grief au regard de leur portée qui ne se limitait pas à de simples voeux mais visait à s’opposer au déploiement des compteurs électriques communicants appelés » Linky « .
D’autre part, le Conseil d’Etat poursuit en considérant que la société Enedis est chargée, dans le cadre de sa mission de service public, d’installer dans sa zone de desserte exclusive ces compteurs électriques, conformes aux prescriptions de l’arrêté du 4 janvier 2012. Par suite, la cour administrative d’appel a pu, sans commettre d’erreur de qualification juridique, après avoir souverainement constaté que la commune de Cast est située dans la zone de desserte exclusive de la société Enedis, juger, par une décision suffisamment motivée, que cette société justifiait d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation pour excès de pouvoir des délibérations et décision qu’elle contestait.
Sur la propriété des compteurs électriques installés sur les réseaux publics de distribution d’électricité
Il résulte de la combinaison des dispositions issues des articles L.1321-1, L.1321-4 du code général des collectivités territoriales et de l’article L.322-4 du code de l’énergie que la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité est attachée à la qualité d’autorité organisatrice de ces réseaux. En conséquence, lorsqu’une commune transfère sa compétence en matière d’organisation de la distribution d’électricité à un établissement public de coopération, celui-ci devient autorité organisatrice sur le territoire de la commune, et propriétaire des ouvrages des réseaux en cause, y compris des installations de comptage visées à l’article D. 342-1 du code de l’énergie.
Après avoir relevé que la commune de Cast était membre du syndicat départemental d’électricité du Finistère et que ce dernier avait la qualité d’autorité organisatrice des réseaux publics de distribution d’électricité, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en déduisant que le syndicat départemental était propriétaire des compteurs électriques et que, dès lors, ni le conseil municipal de Cast ni le maire de la commune ne disposaient de la compétence pour s’opposer ou imposer des conditions au déploiement des compteurs » Linky « .
Sur les pouvoirs de police résultant des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du CGCT
En premier lieu, le Conseil d’Etat a rappelé que :
« le législateur a prévu que les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité mettent en oeuvre des dispositifs permettant aux fournisseurs de proposer à leurs clients des prix différents selon les périodes de l’année ou de la journée et incitant les consommateurs à limiter leur consommation pendant les périodes de forte consommation.
La loi a imposé à cette fin aux gestionnaires de réseaux publics de mettre à la disposition des consommateurs leurs données de comptage, des systèmes d’alerte de consommation et des éléments de comparaison sur les consommations. Il appartient, dans ce cadre, au Premier ministre de fixer par décret les modalités de mise à disposition des données devant être recueillies par les compteurs électriques communicants, lesquels permettent de disposer et de transmettre les données nécessaires.
Le ministre chargé de l’industrie a été chargé, avec la Commission de régulation de l’énergie, de déterminer les fonctionnalités et spécifications de ces compteurs. Ces compteurs sont, par ailleurs, soumis aux dispositions de l’article R. 323-28 du code de l’énergie, aux termes duquel » Les dispositions techniques adoptées pour les ouvrages des réseaux publics d’électricité ainsi que les conditions de leur exécution doivent satisfaire aux prescriptions techniques fixées par un arrêté conjoint du ministre chargé de l’énergie et du ministre chargé de la santé./ Les prescriptions de cet arrêté visent à éviter que ces ouvrages compromettent la sécurité des personnes et des biens, la sûreté de fonctionnement du système électrique ou la qualité de l’électricité, qu’ils génèrent un niveau de bruit excessif dans leur voisinage et qu’ils excèdent les normes en vigueur en matière d’exposition des personnes à un rayonnement électromagnétique « . Ils sont également soumis aux dispositions du décret du 27 août 2015 relatif à la compatibilité électromagnétique des équipements électriques et électroniques, qui transpose en droit interne les objectifs de la directive 2014/30/UE du 26 février 2014 relative à l’harmonisation des législations des Etats membres concernant la compatibilité électromagnétique.
Il appartient ainsi aux autorités de l’Etat de veiller, pour l’ensemble du territoire national, non seulement au fonctionnement optimal du dispositif de comptage au vu notamment des exigences d’interopérabilité mais aussi à la protection de la santé publique par la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques, en mettant en oeuvre des capacités d’expertise et des garanties techniques indisponibles au plan local. Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait adopter sur le territoire de la commune des décisions portant sur l’installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises.
(…) Il résulte de l’article 5 de la Charte de l’environnement que le principe de précaution, s’il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d’attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence et d’intervenir en dehors de ses domaines d’attributions. Par conséquent, la circonstance alléguée que l’utilisation des compteurs électriques communicants exposerait le public à des champs électromagnétiques et ne prendrait pas suffisamment en compte le principe de précaution n’habilite pas davantage le maire à prendre sur le territoire de la commune des décisions portant sur l’installation de compteurs électriques communicants au motif qu’elles viseraient à protéger les habitants contre les effets des ondes émises
(…) Ainsi, ni les pouvoirs de police générale, ni le principe de précaution n’autorisaient le maire de Cast à prendre la décision de suspendre l’installation des compteurs dits » Linky » sur le territoire de la commune ».
En l’espèce, le Conseil d’Etat a considéré que la cour administrative d’appel n’était pas tenue de répondre à l’argumentation, inopérante, soulevée devant elle par la commune et tirée de ce que les ondes émises par ces compteurs feraient courir aux habitants des risques sanitaires justifiant que leur installation soit suspendue en application du principe de précaution. Le moyen tiré, sur ce point, de l’insuffisance de motivation de l’arrêt attaqué ne peut donc qu’être écarté. Il en va de même de l’erreur de qualification juridique des faits et de la dénaturation des pièces du dossier que la cour administrative d’appel aurait commises en écartant implicitement une telle argumentation.
La commune de Cast faisait, en outre, valoir en appel que le maire avait constaté, dans les premiers jours du déploiement des compteurs dits » Linky « , neuf erreurs de branchements et quelques » incursions » sans autorisation d’agents de la société Enedis sur des propriétés privées clôturées. En jugeant que ces circonstances, à les supposer établies, ne suffisaient pas, à elle seules, pour caractériser l’existence d’un trouble à l’ordre public ou d’un risque pour la sécurité justifiant, en application des pouvoirs de police prévus par l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, de suspendre l’installation des compteurs » Linky » sur le territoire de la commune, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit.
Enfin, le moyen tiré de ce que la cour administrative d’appel n’a pas pris en compte la circonstance que le déploiement des compteurs » Linky » et leur utilisation commerciale seraient gravement attentatoires au droit de la concurrence n’a pas été soulevé devant la cour administrative d’appel. Il ne peut être utilement invoqué pour la première fois devant le juge de cassation.
Le Conseil d’Etat avait déjà affirmé quelques semaines auparavant que le conseil municipal d’une commune membre d’un syndicat d’électricité n’étant plus propriétaire des ouvrages du réseau de distribution, n’avait plus son mot à dire sur les compteurs (Conseil d’Etat, 28 juin 2019, Commune de Bovel, n°425975)