La CEDH juge qu’en l’absence de l’accord de l’occupant d’une construction et à défaut, en l’absence d’une décision de justice, les visites effectuées par les agents de l’Etat en application de l’article L.461-1 du code de l’urbanisme, afin de vérifier la correcte application dudit code, violent le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la convention européenne.
CEDH, 16 mai 2019, Halabi c/ France, n°66554/14
Monsieur Halabi est un ressortissant britannique occupant un ensemble immobilier dans la ville de Grasse et dont il n’est pas propriétaire. Des demandes de permis de construire et des déclarations préalables avaient été déposés en mairie afin d’effectuer des travaux et des constructions dans cet ensemble. Ces demandes ont été accordées par le maire et portaient notamment sur une maison individuelle et une serre.
Le 19 mars 2009 des agents assermentés de la ville procèdent à une visite sur les lieux en application de l’article L.461-1 du code de l’urbanisme. Ils constatent que les travaux effectués ne respectent pas les permis de construire délivrés et dressent dès lors un procès-verbal d’infraction. Des photographies sont prises des bâtiments, notamment de l’intérieur.
Cette visite a eu lieu en l’absence de l’occupant et du propriétaire, et sans leur consentement, les agents de la ville ayant pu accéder aux locaux grâce aux ouvriers présents sur le chantier.
Le 31 janvier 2013 l’occupant est mis en examen notamment pour constructions sans permis, exécution irrégulière de travaux soumis à déclaration et obstacle au droit de visite.
Après une requête en annulation rejetée contre le PV d’infraction, Monsieur Halabi se pourvoit en cassation et dépose dans le même temps une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contestant la constitutionnalité de l’article L.461-1 du code de l’urbanisme. La Cour de cassation rejette le pourvoi et refuse de transmettre la QPC au Conseil Constitutionnel au motif que les visites en cause ne portent pas atteinte à l’inviolabilité du domicile ou à la liberté individuelle de l’occupant.
Le requérant se tourne vers la CEDH qui rend sa décision le 6 mai 2019.
La Cour commence par rappeler l’article 8 de sa convention qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le respect du domicile. « Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Le requérant ne contestait pas que l’ingérence des agents assermentés trouvait son fondement dans la loi. Or il soutenait que cette ingérence, en l’absence d’un quelconque cadre juridique et à défaut de la possibilité d’un recours effectif contre celle-ci, était disproportionnée au vu des moyens mis en œuvre pour constater une infraction en matière d’urbanisme et la nécessaire protection de l’inviolabilité du domicile. Il soulignait aussi que cette ingérence n’était pas une mesure qui, dans une société démocratique, était nécessaire à la prévention des infractions pénales.
La Cour, dans son raisonnement, précise que la visite à laquelle ont procédé les agents était justifiée dans son principe, elle poursuivait en effet des objectifs de vérification de la conformité des travaux aux autorisations délivrées, de recherches d’éventuelles infractions au code de l’urbanisme afin de garantir notamment la sécurité des personnes et la protection de l’environnement. Des infractions ont par ailleurs été constatées.
Elle rappelle ensuite qu’une ingérence justifiée, et donc nécessaire, doit répondre à un « besoin social impérieux » et doit plus particulièrement être « proportionnée au but légitime poursuivi ». Sur ce point, elle précise que les visites prévues par le code de l’urbanisme « peuvent être effectuées dans un domicile, à tout moment et hors la présence d’un officier de police judiciaire, sans que soit explicitement mentionnée la nécessité de l’accord de l’occupant, et sans avoir été préalablement autorisée par un juge ».
Elle ajoute que le recours possible contre un PV d’infraction est bien privé de tout effet utile, le moyen tenant en l’atteinte à l’inviolabilité du domicile étant écarté par les juges dans les contentieux nationaux (voir sur ce point la décision QPC du Conseil Constitutionnel validant le délit d’obstacle au droit de visite).
Dès lors, la Cour considère que « faute d’accord de l’occupant ou à défaut d’une autorisation judiciaire, et a fortiori en l’absence d’une voie de recours effective, la visite effectuée le 19 mars 2009 en matière d’urbanisme ne saurait passer comme proportionnée aux buts légitimes recherchés. Il s’en suit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ».