Un propriétaire ayant fait usage du droit de délaissement ne pouvant bénéficier ensuite de son droit à rétrocession, peut obtenir une indemnisation en cas d’atteinte au droit au respect des biens notamment lorsque la Commune a vendu ledit bien à un prix quarante fois supérieur au prix d’achat.
Cour de cassation, 3ème chambre civile, 18 avril 2019, n°18-11.414
Les requérants étaient propriétaires d’une parcelle sur le territoire de la Commune de Saint TROPEZ qui, dans les années 1980 était situé dans un emplacement réservé du plan d’occupation des sols pour la création d’espaces verts. En application de l’article L.123-9 du Code de l’urbanisme instituant la procédure de délaissement, dans sa version applicable à l’époque des faits, les requérants ont mis en demeure la Commune d’acquérir la parcelle. Le juge de l’expropriation a fixé le prix d’acquisition le 8 novembre 1983 à 800 000 francs.
En décembre 2008, la Commune, après avoir modifié les règles d’urbanisme et rendu le terrain constructible, sans y avoir créé d’espaces verts, a revendu le terrain pour un montant de 5 320 000 euros.
Les requérants ont assigné la Commune en paiement de dommages et intérêts invoquant d’une part, le droit de rétrocession prévu à l’article L.12-6 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et, d’autre part, l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Sur le droit de rétrocession
En premier lieu, la Cour de cassation revient sur le mécanisme du droit de rétrocession, premier fondement invoqué par les requérants pour obtenir une indemnisation.
Elle rappelle que le droit de délaissement, prévu à l’article L.123-9 du Code de l’urbanisme, consiste à enjoindre à la collectivité d’acquérir le bien faisant l’objet de l’emplacement réservé.
En parallèle, l’article L.12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique prévoit la possibilité pour l’exproprié de solliciter la rétrocession du bien, si celui ci n’a pas reçu la destination prévue.
Or, de jurisprudence constante, l’exercice du droit de délaissement ne permet pas au cédant de solliciter la rétrocession de ce bien sur le fondement de l’article L.12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (Cour de cassation, 3ème chambre civile, 26 mars 2014, n°13-13.670).
De la même manière, en matière d’expropriation, le droit de rétrocession est uniquement applicable en cas de cession amiable postérieure à la déclaration d’utilité publique. Il ne l’est pas en cas de cession antérieure lorsque les cédants n’ont pas demandé au juge de l’expropriation de leur en donner acte en vertu de l’article L.12-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (Cour de cassation, 3ème chambre civile, 24 septembre 2008, n°07-13.972).
En l’espèce, dans la mesure où, d’une part, les décisions ayant ordonné le transfert de la propriété et fixé le prix d’acquisition ne mentionnaient pas une déclaration d’utilité publique et, d’autre part, aucun arrêté d’utilité publique pour expropriation n’a été adopté, la requérante ne pouvait pas prétendre à la rétrocession du terrain ni à une indemnité compensatrice sur le fondement de l’article L.12-6 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Sur le droit à indemnisation en raison d’une atteinte excessive au droit au respect des biens protégé par l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH
En second lieu, la Cour de cassation constate que l’absence de droit de rétrocession du propriétaire ayant exercé son droit de délaissement sur le bien mis en emplacement réservé et donc inconstructible puis revendu après avoir été déclaré constructible constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de ses biens, protégé par la CEDH.
Cette ingérence, fondée sur les textes et la jurisprudence précités poursuit un but légitime permettant à la personne publique de disposer, sans contrainte de délai, dans l’intérêt général, d’un bien dont son propriétaire a exigé qu’elle l’acquière. Cependant, un équilibre doit être trouvé entre cet intérêt général et la protection des droits et libertés fondamentaux.
En l’espèce, la circonstance que les requérants aient vendu leur terrain inconstructible à la Commune pour 800 000 francs et que celle ci n’ait ensuite pas mis en oeuvre la création d’espaces verts mais modifié les règles d’urbanisme pour rendre le terrain constructible pour le vendre ensuite à hauteur de 5 320 000 euros porte une atteinte excessive au droit au respect des biens au regard du but légitime poursuivi. Le fait que 25 ans séparent les deux actes de vente est sans incidence sur cette atteinte.
Les requérants étaient donc fondés à obtenir une indemnisation de la part de la Commune de Saint Tropez. L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Lyon.