Le Conseil d’Etat à l’occasion d’appliquer strictement la jurisprudence Czabaj (CE, 13 juillet 2016, n°387763) à la contestation des titres exécutoires (Cf. notre article sur ce point : CE, 9 mars 2018, n°401386) et aux termes de laquelle, en l’absence de voies ou délais de recours mentionnés dans une décision administrative individuelle, le destinataire de cette décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable d’un an. Cet arrêt est aussi l’occasion pour le Conseil d’Etat de préciser à nouveau que la contestation de la lettre de rappel adressée par le comptable public ne vaut pas contestation du titre exécutoire en lui-même.
Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 16 avril 2019, n°422004
Dans cette affaire, la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines a mis à la charge de la société France Télécom, devenue la société Orange, une somme de 1 571 505,25 euros correspondant à la redevance due par cette société, pour l’année 2010, au titre de l’occupation des infrastructures de génie civil destinées aux communications électroniques et situées sur le territoire de la communauté d’agglomération. Ce titre exécutoire, en date du 12 septembre 2011, a été notifié à la société France Télécom le 30 septembre 2011, celui-ci ne précisant pas la juridiction devant laquelle cette contestation devait être portée.
Par courrier du 2 novembre 2011, le comptable public a adressé une lettre de rappel à la société France Télécom qui l’a contesté devant le Tribunal administratif de Versailles dans un délai de deux mois, par requête du 4 janvier 2012.
Par une requête en date du 12 juin 2013, la société France Télécom a demandé au tribunal administratif de Versailles d’annuler le titre exécutoire du 12 septembre 2011.
Par un premier jugement du 1er décembre 2015, confirmé en appel, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de la société France Télécom dirigée contre le courrier de rappel du 2 novembre 2011 au motif que celui-ci ne constituait pas un acte faisant grief.
Par un second jugement du 1er décembre 2015, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de la société France Télécom dirigée contre le titre exécutoire du 12 septembre 2011 au motif qu’elle était tardive. Or, par un arrêt en date du 7 juin 2018, la cour administrative d’appel de Versailles, jugeant recevable la requête de la société France Télécom devenue Orange a annulé ce jugement et le titre exécutoire en litige.
La communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
Aux termes d’une application stricte de la jurisprudence Czabaj à la contestation des titres exécutoires le Conseil d’Etat a jugé et confirmé que le destinataire d’un titre exécutoire qui ne comporterait pas les mentions des voies et délais de recours ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable d’un an et que le titre exécutoire et la lettre de rappel doivent être considérés comme des actes distincts.
En effet, le Conseil d’Etat précise, dans cet arrêt que :
« 4. S’agissant des titres exécutoires, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le titre exécutoire du 12 septembre 2011, notifié à la société France Télécom le 30 septembre, comportait la mention selon laquelle il pouvait être contesté dans un délai de deux mois, mais ne précisait pas la juridiction devant laquelle cette contestation devait être portée. En se fondant, pour juger que la demande de première instance de la société France Télécom dirigée contre le titre exécutoire, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Versailles plus d’un an et huit mois après sa notification, ne pouvait être regardée, dans les circonstances de l’espèce, comme présentée au-delà d’un délai raisonnable, sur ce que, d’une part, en contestant la lettre de rappel dans le délai de recours contentieux de deux mois, la société France Télécom avait entendu contester le bien-fondé du titre exécutoire et son obligation de payer la redevance litigieuse et sur ce que, d’autre part, elle ne pouvait savoir avant le 1er décembre 2015 que ce recours serait rejeté comme irrecevable, alors que le titre exécutoire et la lettre de rappel sont des actes distincts qui ont des objets différents, de sorte que le recours contre la seconde ne saurait avoir pour effet de conserver le bénéfice du délai raisonnable imparti au débiteur pour contester le premier, si bien que la société ne pouvait exercer de recours juridictionnel contre le titre exécutoire au-delà du délai d’un an après sa notification, la cour a méconnu la règle rappelée aux points 3 et 4 et a entaché son arrêt d’une erreur de droit. Il en résulte que la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines est fondée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, à en demander l’annulation. »
Ce faisant, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles et, jugeant l’affaire au fond, rejette la requête en appel de la société France Télécom, devenue société Orange, et confirme le jugement du Tribunal administratif de Versailles.