L’annulation d’un titre exécutoire pour un motif tiré de régularité en la forme n’implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d’une régularisation par l’administration, l’extinction de la créance litigieuse, à la différence d’une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre.
Conseil d’Etat, 5 avril 2019, CELF n°41371
Dans cette affaire, la société Centre d’exportation du livre français (CELF) a perçu de la part de l’Etat, entre 1980 et 2001, un montant total d’aides de 4, 8 millions d’euros afin d’assurer la gestion du programme » petites commandes « , destiné à assurer la diffusion d’ouvrages en langue française dans les territoires d’outre-mer et à l’étranger.
La Commission européenne a, par une décision du 14 décembre 2010 devenue définitive, estimé que ces financements constituaient une aide d’Etat contraire à l’article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, incompatible avec le marché intérieur.
La société CELF a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 9 septembre 2009 désignant la société Mandataires Judiciaires Associés (MJA) en qualité de liquidateur judiciaire.
En application de la décision de la Commission européenne du 14 décembre 2010, la ministre de la culture et de la communication a émis, d’une part, un titre de perception portant sur la récupération des sommes versées au titre de cette aide et, d’autre part, un titre de perception d’un montant de 10 375 749, 03 euros au titre des intérêts afférents.
Ce second titre a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Paris du 29 avril 2013.
Par une décision n° 274923 du 30 décembre 2011, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a enjoint à l’Etat de procéder » à la récupération des intérêts afférents aux aides versées au Centre d’exportation du livre français durant les années 1982 à 2001, depuis la date à laquelle ces aides ont été mises à disposition jusqu’au 25 février 2009, les intérêts devant être calculés conformément au règlement (CE) n° 794/2004 « .
En conséquence, un nouveau titre de perception a été émis le 23 octobre 2013, mettant à la charge de la société MJA une somme de 10 375 749, 03 euros.
La société MJA, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société CELF, a relevé appel du jugement du 24 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Paris, après avoir annulé le titre de perception du 23 octobre 2013, a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de cette somme.
La société MJA, à laquelle s’est substituée en cours d’instance la société Etude JP en qualité de mandataire liquidateur de la société CELF, se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 28 juin 2017 qui a rejeté son appel.
Le Conseil d’Etat a tout d’abord, précisé que : « L’annulation d’un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n’implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d’une régularisation par l’administration, l’extinction de la créance litigieuse, à la différence d’une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre.
Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l’annulation d’un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l’administration, il incombe au juge administratif d’examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge.
Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de la décharge mais retient un moyen mettant en cause la régularité formelle du titre exécutoire, le juge n’est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu’il retient pour annuler le titre : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande de décharge de la somme litigieuse.
Si le jugement est susceptible d’appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n’a pas fait droit à sa demande de décharge. Il appartient alors au juge d’appel, statuant dans le cadre de l’effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à cette demande »
En l’espèce, la société requérante avait saisi le tribunal administratif de conclusions tendant non seulement à l’annulation du titre de perception émis à son encontre mais aussi à la décharge de la somme qui lui était réclamée. Dans ces conditions, il incombait au tribunal administratif de statuer en examinant prioritairement les moyens contestant le bien-fondé de la créance litigieuse.
Après avoir fait droit aux conclusions à fin d’annulation du titre de perception attaqué par la société MJA, le tribunal a rejeté ses conclusions à fin de décharge de la somme en litige en jugeant que le motif d’annulation du titre de perception, tiré de son insuffisante motivation, n’impliquait pas nécessairement de prononcer cette décharge.
Ainsi, le Conseil d’Etat a considéré que le tribunal est réputé avoir nécessairement examiné et écarté l’ensemble des moyens, soulevés devant lui, relatifs au bien-fondé du titre exécutoire et sa demande de décharge des sommes mises à sa charge.
En outre, le Conseil d’Etat a considéré que « si la clôture pour insuffisance d’actif d’une procédure de liquidation judiciaire de l’entreprise bénéficiaire d’une aide d’Etat illégale est susceptible, en fonction de la situation particulière de l’entreprise, de permettre à un Etat membre de démontrer qu’il est dans l’impossibilité absolue de récupérer cette aide, (…) tel n’est pas le cas de la seule ouverture d’une telle procédure et de l’inscription de la créance de l’Etat au tableau des créances de la liquidation judiciaire« .
En jugeant que la circonstance que la société CELF, bénéficiaire de l’aide illégale, avait été placée en liquidation judiciaire, qu’elle présentait un passif et ne disposait plus d’aucun actif à réaliser était sans incidence sur l’obligation pour l’Etat de poursuivre le recouvrement des aides illégalement versées et des intérêts afférents et qu’elle était, dès lors, sans incidence sur le bien-fondé de la créance litigieuse, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit.
Il résulte de tout ce qui précède que la société Etude JP, qui a été substituée à la société Mandataires Judiciaires Associés, n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.